lundi 14 septembre 2009

Iran/Gabon - le syndrome « Chomsky »

Une des principales choses que dénonça Noam Chomsky1 fut la différence de traitement de l’information, aux États-Unis, entre les évènements relevant de la politique de Washington et ceux impliquant leurs ennemis.

«Pour expliquer comment fonctionne la fabrique de l’opinion, Chomsky prend souvent l’exemple de deux prêtres dissidents assassinés au début des années 80. Comment le premier est devenu le symbole planétaire de l’horreur soviétique, et comment la mort du second a eu 100 fois moins d’importance. Le 24 mars 1980 au Salvador, alors qu’il célébrait la messe, Oscar Roméro était assassiné. Il était une des figures de la lutte contre la dictature soutenue et imposée à son pays par les États-Unis. Cet assassinat a suscité beaucoup moins d’émotion que celui d’un autre prêtre, le père Popieluzco. Le 19 octobre 1984 en Pologne, le père Popieluzco, un prêtre dissident est assassiné par la police du pouvoir communiste. L’émotion est immense. Les médias se déchainent. L’assassinat du prêtre devient l’événement n°1 : par 10 fois, le New-York Times consacre sa première page au prêtre assassiné par le régime communiste. Noam Chomsky et Edward Herman entreprennent alors une étude comparative très précise de la couverture médiatique des 2 assassinats. Résultat : le prêtre polonais victime du régime communiste soutenu par l’URSS est 100 fois plus important que le prêtre du Salvador victime de la dictature soutenue par les États-Unis2. »


Ce qu’a démontré Chomsky à travers de nombreux faits (assassinats d’opposants, putschs, guerres, répressions sanglantes, massacres etc.), c’est que les médias sont complètement assujettis à la politique de leur pays, et participent activement à la propagande produite en vue du formatage de l’opinion publique : d’une part, on salit l’adversaire, l’ennemi en dénonçant ses travers. D’autre part, on cache ou au moins on minimise ou justifie les siens. Finalement, cette attitude est celle de toute personne égocentrique et vaniteuse utilisant la mauvaise foi pour préserver l’idée qu’elle a d’elle-même et qu’elle tente donc d’exporter, c’est-à-dire de la grande majorité de nos concitoyens. Il n’y a rien d’étonnant par conséquent à ce que ce procédé soit utilisé par les puissants au travers des leviers qu’ils maitrisent (médias, éducation, cinéma etc.) en direction du peuple.
Bien entendu, ce qui s’applique aux États-Unis dans ce domaine s’applique aussi à tous les autres pays du globe. Ainsi la France, pays du bloc de l’Ouest, a toujours relayé la propagande américaine, et l’on pouvait lire dans les journaux français : « intervention des USA » contre « violation russe », les uns agissant en sauveurs des peuples, les autres en tyrans démoniaques. Les uns libèrent les peuples, les autres les asservissent. Et bien sûr, en ce qui concerne la politique étrangère de la France, la presse est aussi unanime3 : la France est une bonne puissance. Son action est libératrice, ses intentions sont altruistes. Sauf que pour l’objectivité, l’impartialité des médias français, il faudra repasser !
Et c’est là que j’en arrive au propos de cet article, à savoir la différence de traitement entre deux élections qui sentent aussi mauvais que celle qui porta G.W. Bush à la présidence des États-Unis : les élections présidentielles en Iran et au Gabon. En effet, voici deux élections truquées, aux résultats contestés par l’opposition, une opposition rendue hors-la-loi par un pouvoir dictatorial pour lequel le processus électoral ne sert qu’à se draper dans un semblant de légitimité qui ne convainc finalement que ceux qui veulent l’être, aidés en cela par un appareil médiatique complètement sous contrôle. On ne manque pas de nous montrer cet appareil médiatique en action, lorsqu’il s’agit de la télévision chinoise ou iranienne, mais bien évidemment nos télés à nous, bon peuple d’occident, et de nos protégés ne sauraient commettre pareille indélicatesse ! D’ailleurs, la preuve : on dénonce le procédé chez les vilains… Et on est malin, on est devenu pointu dans l’art de la désinformation.
Ainsi, on ne peut pas dire qu’on n’en a pas parlé : pendant quelques jours avant et après, le Gabon et la succession de Bongo père ont fait l’objet de quelques annonces et de 2-3 reportages dans les journaux télévisés des chaines principales en France. Mais les reportages se sont bornés à un énoncé de la situation, sans réel développement. Trois ou quatre jours après les élections, on n’avait plus droit qu’à une ou deux phrases placées en milieu de journal entre deux reportages. Malgré ce traitement ténu, la plupart des gens savent qu’il y a eu au Gabon une élection controversée, des émeutes où les émeutiers ont finalement été associés à des pillards. Certains Gabonais reprochaient à la France son soutien au régime d’Omar Bongo, et maintenant à son fils Ali. On nous a parlé des conseils du Quai d’Orsay aux français expatriés enjoints de rester chez eux, et des exactions des émeutiers qui ont incendié, le premier soir, le consulat de France à Port-Gentil et vandalisé des stations Total. Et grâce à ça, les journalistes pourront toujours arguer que le travail a été fait, que l’information est passée. Ils pourront aussi dire que le Gabon est un tout petit pays, que sa population n’atteint pas 2 millions d’habitants… Donc, rien à voir avec un pays comme l’Iran, pays important du Moyen-Orient.
Pourtant, le Gabon est à mon sens aussi important, voire davantage, aux yeux des français que l’Iran, ne serait-ce qu’en raison de son statut d’ex-colonie et de son appartenance à la sombre Françafrique. Quant à l’Iran, en entendrions-nous autant parler si Washington ne s’intéressait pas à ce pays. Pas pour son pétrole, of course, mais seulement pour ses (prétendument futures) armes de destruction massive, ses menaces envers Israël et sa dictature intolérable. Le parallèle avec l’Iraq de Saddam Hussein est si fort que l’on se doute des intentions des USA, noble champion de la démocratie, à l’égard de l’Iran des Ayatollahs : l’affaire mitonne à feu doux et n’attend plus que le casus belli, lorsque tout sera prêt, pour passer à la phase active du plan...
Certains experts4 – hommes politiques, journalistes et autres – prétendent que la Françafrique n’est plus. Comment expliquer, si c’était le cas, un tel écart de traitement entre les élections iraniennes et gabonaises ? Impossible de ne pas se souvenir du battage médiatique tonitruant consécutif aux élections iraniennes. S’il s’agissait de dénoncer la fraude électorale et le mécontentement populaire en résultant, pourquoi ne retrouve-t-on pas le même battage médiatique après la mascarade qui s’est jouée au Gabon ? Après tout, si nos médias – libres et indépendants – devaient faire allégeance à la politique américaine et s’aligner sur la propagande anti-Iran, pourquoi ne pas couvrir cette vassalité en réservant le même traitement à l’émirat pétrolier africain de la France ? Bon, parce qu’évidemment la réponse est dans la question. Les intérêts français sont trop importants pour qu’on y touche impunément. Le clan Bongo a prouvé sa parfaite complicité avec la mafia françafricaine. Pourquoi changer une équipe qui gagne ?
Donc, malgré les contestations de l’opposition5 au PDG (Parti Démocratique Gabonais : je sais, c’est risible !), malgré les émeutes et les accusations de fraude électorale6 , de soutien de la France à un régime dictatorial qui, en enrichissant le clan au pouvoir et les mafieux de l’élite française, a poussé tout un peuple sous le seuil de pauvreté7 , malgré les poursuites et les pires rumeurs continuant de filtrer de ce pays en crise8 , malgré tout ça les médias français ont en douceur évincé le sujet. Nous sommes bien, à mon sens, dans le cas de figure décrit par Noam Chomsky, la politique africaine de la France étant toujours le pré carré de l’Élysée9 et les journalistes français, questionnés dans le film de Daniel Mermet sur leur liberté, font tous preuve d’une belle hypocrisie. Mais nous savons à présent qu’elle est une condition sine qua none de leur présence sur les ondes…

1. Voir sa bio sur wikipedia. Plusieurs films ont été tournés sur Chomsky. Entre autres : « Chomsky & Compagnie (pour en finir avec la fabrique de l’impuissance) » de Olivier Azam et Daniel Mermet, mais aussi « Pouvoir et terreur - entretiens après le 11 septembre » de John Junkerman, et « La fabrique du consentement - Noam Chomsky et les médias » de Mark Achbar et Peter Wintonik.
2. Extrait de « Chomsky & Compagnie (pour en finir avec la fabrique de l’impuissance) »
3. À part quelques rares journaux dont « le Monde Diplomatique », dont je salue la justesse et le grand professionnalisme et « Courrier international », un journal revue de presse mondiale très objectif.
4. Et parmi eux Pierre Péant (!?)
5. Voir à ce sujet l’article paru sur mazleckinfo
6. Voir entre autre un article du « journal du jeudi » (Burkina Faso) et un autre issu du journal « clarté » (Sénégal), repris tous deux dans « Courrier International », un article paru sur mazleckinfo, ou cet article paru sur le « blog du diplo » qui anticipait le désordre.
7. Voir entre autres cet article du JDD,
8. Voir l’article à ce sujet paru sur Gaboneco
9. Voir l’interview télévisée (iTélé>) d’Anthony Bellanger de « Courrier International » postée sur Youtube et visible depuis la page de courrierinternational.com précédemment citée. On remarquera aussi sur cette page de Gaboneco.com l’adoubement d’Ali Bongo par Nicolas Sarkozy parmi toute une liste de félicitations de dictateurs amis

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