vendredi 30 octobre 2009

Le symbolisme des contes

La plupart des histoires et des contes, à l’instar des rêves, regorgent de symboles. Qu’ils y aient été placés sciemment ou non, peu importe. Comme le soulignait un excellent professeur que j’ai eu au collège :
« L’important n’est pas de savoir si l’auteur a voulu mettre cela dans le texte. L’important est que cela y soit. »
Ainsi, selon que l’on prenne l’histoire de façon littérale ou symbolique, on accède à plusieurs grilles de lecture.

Première partie : La véritable histoire des trois petits cochons


Après avoir quitté leur mère qui les a mis en garde contre le loup qui rôde quelque part dans la forêt, ils évoluent dans le vaste monde et arrivent dans une clairière. Les petits cochons sont faibles et désarmés. Le grand méchant loup est fort, armé de crocs aiguisés mus par une mâchoire puissante.
Dès son éveil, notre conscience intègre le caractère éphémère de l’existence, la mort implacable, la brutale loi de la prédation animale dans l’immense chaîne dont nous ne sommes qu’un maillon. Ce concept est abstrait et c’est tout naturellement que lorsque l’enfant entend l’histoire des trois petits cochons et du loup, il visualise la mort sous les traits du grand méchant prédateur. Et c’est aussi naturellement qu’il s’identifie à la chair rose, potelée et faible, même si elle est affublée d’une queue en tire-bouchon. Mais il y a trois petits cochons, et leurs personnalités diffèrent. La différence est mise en évidence par le comportement de chacun des protagonistes.
En effet, l’ombre de la mort plane depuis le début. Le loup est annoncé et bien qu’il soit alors absent, on sait qu’il est quelque part, dans le décor. Bien sûr, une clairière est un espace rassurant : si elle est grande, la lisière des arbres est loin et on peut, en un tour d’horizon, voir si quelque chose arrive. Au milieu de la forêt par contre, chaque tronc peut cacher un danger. Néanmoins, s’il est plus rassurant d’être dans la clairière, cela ne constitue nullement une protection contre le loup. La première action des trois petits cochons consiste donc à se construire une maison, autrement dit un abri, une protection. Et c’est alors que les comportements commencent à diverger :
Le premier bâtit une maison en paille. Or la paille est l’élément que l’on trouve sur place, en se baissant. Il s’agit des tiges séchées des grandes herbes de la clairière. Le choix de ce matériau révèle une personnalité étrange, composée d’une part de fainéantise et d’inconscience vis-à-vis du danger. Mais on peut facilement concevoir que le petit cochon coupant l’herbe dans la clairière éprouve en fait une peur panique de retourner dans la forêt pour y quérir d’autres matériaux.
La peur est une émotion. Elle permet la conservation de l’individu, et est graduée pour faire face à toutes les situations. En sourdine, elle est l’inquiétude et provoque la vigilance d’un animal. Elle lui permet d’être sur ses gardes et d’éviter d’être surpris par un danger. Lorsque le danger devient effectif, la peur s’accélère exponentiellement et devient panique. Elle s’accompagne d’un déversement d’adrénaline (ou de noradrénaline) dans le sang, dopant toutes les fonctions corporelles nécessaires pour fuir ou au contraire faire face à la situation. Si l’accélération de la peur n’atteint pas une limite, elle a pour effet de paralyser le sujet terrorisé. La panique est donc une expression naturelle de la peur, mais lorsqu’elle apparait en l’absence de stimulus réel, elle confine à la folie. Afin de conjurer un tel état de démence provoquée par la frayeur, le plus court chemin consiste à tourner le dos à la peur. C’est l’attitude de l’autruche : en se coupant de la perception du monde, elle se coupe de l’objet de sa peur et en stoppe la progression.
De cette manière, la peur panique et l’inconscience du danger, de prime abord contradictoires, peuvent bien coexister dans l’esprit d’un individu.
Le second petit cochon bâtit une maison en brindilles et en branchages. Il y a une légère différence avec le premier. Légère car le matériau choisi ne garantit pas davantage contre les assauts du loup. La différence n’est qu’apparente. Cet individu s’oblige à aller chercher des matériaux aux abords de la forêt. S’il n’a guère plus de courage que son congénère et n’ose quitter la clairière, il a tout de même le souci de paraître moins peureux. Car le comportement du premier petit cochon constitue un aveu de lâcheté. Il pourrait tout à fait s’agir d’une fille, pour laquelle le courage n’est nullement requis, et qui peut sans honte afficher faiblesse et lâcheté. Le second, quant à lui, pourrait être ce petit garçon bravache, honteux de sa peur et masquant sa lâcheté par une attitude faussement courageuse. Le but de son action est donc essentiellement de donner le change et se limite au minimum syndical : il s’approche suffisamment de la forêt pour que le premier cochon le pense hardi, mais il ne retourne pas à l’intérieur.
Le troisième petit cochon bâtit une maison en briques. Je me réfère pour mon analyse à la version originale du conte, et non aux versions édulcorées qui ont vu le jour par la suite. Les premières traces écrites remontant au XVIIème siècle, il n’est pas absurde de supposer qu’elles reposent sur une tradition orale qui leur sont bien antérieures, et que les briques ont elles-mêmes remplacé la pierre. Quoi qu’il en soit, le matériau choisi implique plusieurs choses.
Tout d’abord la conscience vive du danger représenté par le loup et de la nécessité de s’en prémunir. Cette conscience du danger, si elle ne peut qu’engendrer la peur, se mue dans l’esprit de ce petit cochon non pas en panique mais en courage. Car le courage n’existe pas sans la peur. Le courage est la capacité de surmonter sa peur, de façon à agir efficacement contre ce qui la provoque.
Et c’est bien ce dont a fait preuve le troisième petit cochon, tout d’abord en regardant la réalité angoissante en face et en décidant d’anticiper le moment redouté. Ensuite, nous devons bien penser que les éléments permettant l’édification de sa bâtisse (briques ou pierres, mortier, tuiles, etc.) ne se trouvaient pas à proximité. Il lui a donc fallu sortir de la rassurante clairière et parcourir un monde dangereux, avec la conscience de ce danger, afin de les réunir.
Le second point qu’implique le choix de la maison de pierre est la difficulté d’exécution.
Premièrement à cause de la connaissance qu’il nécessite, tant au niveau du prédateur, puisque l’édifice est sensé lui résister, qu’au niveau du chantier et des métiers qu’il présuppose.
Deuxièmement – et c’est sur ce point que s’accordent habituellement les analyses de ce conte – à cause de l’effort et du temps qu’il demande pour la construction proprement dite.
En effet, les deux premiers petits cochons, après avoir bâclé le travail, passent leur temps à s’amuser et se moquent de celui qui utilise tout son temps à finir son labeur. La morale basique qui est accolée à cette histoire fait l’éloge du labeur, dénonce la paresse et la légèreté, qui entraine les inconscients sur le sentier de la perdition. Car dans la version originale, les deux premiers cochons sont dévorés par le loup, ce qui est logique. Le psychologue y voit, plus finement, la tendance vers le plaisir opposée au sens de la réalité. Il en dégage un processus évolutif de l’enfant du jeu vers la responsabilité au travers des différentes étapes personnifiées par les trois petits cochons. Le loup représente quant à lui les malignités de l’inconscient qui menacent l’équilibre mental.
Ma grille de lecture est différente car elle intègre la peur et en fait le pivot central de la psychologie des personnages, ou tout au moins l’élément déterminant dans le choix des petits cochons. De fait, c’est celui qui chasse de l’esprit des deux premiers la conscience du loup. Tout le reste en découle. Certes, le travail long et fastidieux nécessaire à la construction est un aspect important, mais qui à mon sens est purement inutile s’il n’est pas précédé de l’acquisition de la connaissance, comme je l’ai déjà signalé. Car, que les deux petits cochons s’amusent ou travaillent à tout autre chose qu’à leur protection contre le loup revient au même en l’occurrence.
La nécessité de la lucidité alliée au courage est d’ailleurs attestée par la suite du conte : après avoir avalé les deux inconscients et constatant ensuite que la troisième maison est imprenable, le loup tente d’attraper le dernier petit cochon par la ruse, en se montrant amical et en lui proposant de l’amener d’abord dans un champ de navets, puis chercher des pommes et enfin de l’accompagner au marché. Déjouant toutes les ruses du loup, le petit cochon fait montre d’esprit stratégique. À la fin, le loup se laisse emporter par l’émotion et, furieux, tente de passer par la cheminée et finit, comme chacun sait, ébouillanté dans une marmite. Dans la version originale, le petit cochon mange le loup.
Ce conte transmet symboliquement à l’enfant la façon correcte de se comporter pour faire face au monde impitoyable dans lequel il est né : résister à la peur, cette puissante émotion, est indispensable pour s’en sortir favorablement. Le courage d’être lucide est la condition sine qua none des choix bien dirigés qui feront la différence en face du loup. Cette qualité est le départ d’une chaîne de vertus à acquérir pour venir à bout d’une épreuve à première vue insurmontable.
Certes, le travail n’est pas exempt de ma grille de lecture, mais il doit être ciblé correctement pour être efficace. Le métier d’une personne est-il ce travail efficace contre le loup ? N’y a-t-il pas pire fainéantise que l’exemple de ces gens qui, une fois leur travail professionnel terminé, ne consacre leur temps qu’à jouer, regarder la télévision, boire, fumer, papoter etc. Quant à ceux qui le consacrent à effectuer un travail sans rapport avec le loup, ne perdent-ils pas également un temps précieux ? Pour reprendre l’expression du psychologue, qui a vraiment le sens des réalités ?
Ce conte me rappelle certaines paraboles de Jésus. La solitude du troisième petit cochon:

« Il y en a beaucoup qui se tiennent devant la porte,
Mais ce sont les solitaires qui entreront dans le lieu du mariage.»1

La nécessité d’anticiper le danger :

« Heureux l’homme qui sait en quel point les pillards pénètrent
Si bien qu’il se dressera, rassemblera sa force
Et prendra déjà appui sur ses reins
Avant qu’ils ne s’introduisent.»2


À propos du petit cochon qui mange le loup, cette parabole que je n’ai pas totalement comprise :

« Heureux est le lion que l’homme mangera,
Et le lion deviendra homme.
Et souillé est l’homme que le lion mangera,
Et le lion deviendra homme.»3





1. L’évangile selon Thomas (§76)
2. L’évangile selon Thomas (§103)
3. L’évangile selon Thomas (§7)



Haut de page



Deuxième partie : Histoire occulte du petit chaperon rouge



L’ambiance de ce conte est assez particulière, enfin à mon goût. Remontant à la nuit des temps (les versions les plus anciennes connues remontent aux XIème siècle), la première version publiée du conte est celle de Charles Perrault écrite à la fin du XVIIème siècle. C’est essentiellement sous la forme que celui-ci lui donna que l’on connait ce conte aujourd’hui, édulcoré toutefois par la fin des frères Grimm, qui firent intervenir un chasseur pour extraire le petit chaperon rouge et sa mère-grand du ventre du loup.
Les interprétations de ce conte vont de la mise en garde des jeunes filles contre les prédateurs sexuels (explicite chez Perrault1) à l’analyse psychanalytique de Bettelheim2 qui y voit le passage d’une fille devenant femme.
Je vais encore une fois faire preuve d’originalité en trouvant pour ce conte millénaire une grille de lecture différente, y plaçant un élément d’explication relevant d’un domaine de nos jours décrié (tel la rondeur de la terre par l’Église à l’époque de Galilée), mais qui était alors considéré comme naturel : la magie.
Ha, magie !... Ô lecteur, si tu es un de ces indécrottables incrédules qui refusent même d’enquêter sur le sujet tant leur conviction est forte que tout ce qui s’accole à ces mots est pour eux synonyme de naïveté, escroquerie, charlatanisme, perte de temps etc., si tu es un de ces matérialistes fervents, alors sache que mon propos ne vise ni à te convaincre, ni à t’irriter. Cet article risque hélas de le faire (t’irriter) et de te faire par suite pester contre son auteur. Donc, te voici averti si tu persistes au-delà de ces lignes car ce n’est pas à toi qu’elles s’adressent, mais à ceux qui sont au moins ouverts à toutes les possibilités, à défaut d’avoir une opinion étayée sur ce domaine.
Je considèrerai comme authentiques certains éléments de la version moderne du conte qui, bien que ne figurant pas dans celle de Charles Perrault, collent bien avec la vision ésotérique. Ainsi, la mise en garde de la mère envoyant le petit chaperon rouge porter la galette et le petit pot de beurre à sa mère-grand souffrante : rester sur le chemin, ne jamais le quitter…
Ce chemin qu’il ne faut quitter pour rien au monde est le symbole classique de la voie vertueuse prônée par les religions et philosophies du monde entier. Il est ce code moral que l’on peut décider de développer et de suivre, ou de déserter pour les besoins d’une cause.
Ce chemin traverse bien sûr une forêt, lieu sombre et touffu où vit le loup, ce grand méchant prédateur que, je l’admets, on peut imaginer là représentant un homme mal intentionné vis-à-vis d’une jeune et naïve damoiselle. Néanmoins, je préfère y voir pour ma part le même symbole fatal que dans l’histoire des trois petits cochons. Ainsi, son but est identique : la mort du petit chaperon rouge.
Lorsque la fillette le rencontre dans le bois, Charles Perrault, suivi des frères Grimm, nous dit qu’elle ignorait que le loup fût dangereux. Je pense que, à l’instar des deux premiers cochons, elle voulait l’ignorer. Car, quand on rencontre quelqu’un de dangereux, un sixième sens nous alerte. Si le loup se comporte avec amabilité, il nous est alors loisible de penser que celui-ci n’est pas méchant, que nous sommes dans ses petits papiers, que tout va bien, qu’il nous a à la bonne. Mais au fond, nous savons de quel côté penche le rapport de force, et qu’il suffirait d’un mot de trop pour déclencher son agacement, qui pourrait devenir courroux, et pour voir notre bon ami se transformer en tyran implacable. On a donc tendance à lâcher du lest et à éviter de le contrarier. C’est bien ce que fait le petit chaperon rouge en discutant avec le loup et en lui indiquant nonchalamment tout ce qu’il désire savoir : ce qu’elle fait, où elle va.
Le seul point qui est étrange à ce stade du récit est : pourquoi le loup ne la tue-t-il pas à ce moment-là ? Connaissant sa voracité légendaire, quelque chose de terriblement puissant l’en empêche. Le conte nous parle de « quelques bûcherons qui étaient dans la forêt », assurément pas assez pour éviter le meurtre ! D’une part car le loup ayant approché l’enfant pouvait l’égorger en quelques secondes dans un parfait silence. D’autre part car le loup est davantage connu pour ses pulsions irraisonnées que pour sa maîtrise et sa capacité de calcul, qualités plutôt dévolues au renard dans la symbolique moyenâgeuse d’où est issue cette histoire. Or ce loup-ci, de même que pour le troisième petit cochon, est contraint d’utiliser la ruse. Dans le cas du petit cochon, la raison en était claire : l’attaque de front était impossible à cause de la protection efficace de ses murs. Pour le petit chaperon rouge, la raison n’est pas aussi évidente, et c’est là que je vois une protection, tout aussi efficace, mais invisible : quelque chose du ressort de l’énergie, de l’esprit. Mon explication n’a rien d’une certitude, je tiens à le préciser. Disons que mes connaissances en la matière (si j’ose dire ;) me permettent de formuler une hypothèse plausible : en fait, si le loup ne mange pas l’enfant lors de la première rencontre, c’est parce qu’elle est restée sur le sentier, et qu’une loi, magique ou divine, comme on voudra, la protège et repousse la mort. Est-ce à dire qu’une puissance occulte interfère avec nos vies ? Si cela n’est plus dans l’air du temps, nos ancêtres, à l’époque médiévale mais aussi dans l’antiquité et sans doute même bien avant, pensaient exactement comme ça. Il n’est donc pas absurde, je crois, d’analyser le déroulement de l’histoire en suivant cette piste.
Cette thèse repose intégralement sur le fait que l’univers a été créé, qu’il existe donc un Créateur, et que sa création a un sens, une raison d’être3. D’après toutes les religions, le sens de notre vie aurait une connotation spirituelle : notre esprit, tenté par des démons liés aux vicissitudes terrestres et à notre nature animale, devrait se conformer à une éthique stricte pour, en quelque sorte, rester fidèle à l’intention du Créateur. Cette attitude, symbolisée par le sentier lumineux au milieu du bois ténébreux, amène ceux qui l’adoptent sans faille à un retour triomphal vers le Grand Esprit. Or, tout ceci n’a de sens que si la vie ne fauche pas bêtement un esprit progressant sur ce chemin. C’est là que s’impose la magie : les personnes qui avancent en adéquation avec l’intention créatrice doivent être protégées. Une puissance que l’on n’a jamais pu mesurer – énergétique, spirituelle – doit exister et, assortie de lois spécifiques, gérer l’univers au même titre que la matière est, d’une façon que l’on peux mesurer, assujettie aux lois de la physique et de la chimie.
Et c’est cette puissance qui retient le loup, à mon avis, et l’empêche de se ruer vers le petit chaperon rouge pour la dévorer. Le seul moyen pour le loup de parvenir à ses fins est donc de lever la protection, et pour cela de pousser le petit chaperon rouge à la faute. Sa stratégie va être basée sur la tromperie.
Il se fait donc passer pour amical, extorque les détails concernant la destination de la fillette et du but de sa visite, puis propose une compétition de vitesse pour se rendre chez la mère-grand.
À partir de là, le petit chaperon rouge va se comporter comme si elle n’avait aucun souvenir de cette rencontre, comme si elle l’avait vécue sous hypnose. Et tandis que le loup, en parfait Terminator, ne vit que pour sa mission, le petit chaperon rouge, à la manière des deux premiers petits cochons, se divertit pendant le reste de son trajet : papillons, fleurs, tout est bon pour capter son attention, jouer en chemin, et laisser au loup le temps d’accomplir ses funestes desseins.
Ce faisant, l’enfant commence à accumuler les fautes, et par suite perdre sa protection… Car, nous l’avons vu dans l’affaire des petits cochons, ne pas se préoccuper du loup et perdre son temps en amusement est une faute sérieuse qui entraine celui qui la commet vers une issue fatale.
Lorsque la fillette arrive enfin à la première maison du village :
« Tire la chevillette et la bobinette cherra » et la voici face au loup ayant pris l’apparence de la mère-grand. Dans une des plus anciennes versions orales connues4, le loup ayant dévoré la vieille femme, en avait gardé quelques morceaux et enjoignit le petit chaperon rouge à en manger. Les analyses de cette version font état de cannibalisme, sans trop proposer d’explication convaincante, mais j’y vois encore une manœuvre du loup pour faire consommer le crime à la petite fille. Celle-ci, s’exécutant, devient un peu complice et s’enfonce davantage dans la faute.
La dernière partie du récit est surréaliste : le petit chaperon rouge ne s’aperçoit pas que ce n’est pas sa grand-mère qui se tient dans le lit où elle l’a invitée à la rejoindre. Enfin, elle ne perçoit les indices qu’un à un, les livrant au loup au fur et à mesure : « Que vous avez… de grandes dents ! »
Dans la version de Perrault, pas de chasseur venant au secours des dévorées. Le conte, destiné aux petits enfants, ayant du engendrer sous cette forme effroi et cauchemars, les mères et nourrices lui ont adjoint une issue heureuse, comme pour les trois petits cochons. La version implacable est toutefois plus cohérente.
« C’est pour mieux te manger ! » Le loup, après un long cérémonial, se jette sur le chaperon rouge et la mange. Encore une fois, toute cette mise en scène semble bien improbable de la part du loup, dont nous avons décrit plus haut le caractère. Il semble donc bien que jusqu’à la fin, la fillette ait bénéficié de la protection magique, obligeant le loup à la tromper et à la faire venir d’elle-même jusque dans sa gueule. Ainsi, l’histoire du petit chaperon rouge se résume-t-elle à ça. Si l’enfant a été dévorée, c’est parce qu’elle s’est jetée dans la gueule du loup. Sans ça, il ne pouvait pas la toucher.
Autrement dit, la peur, la timidité, la naïveté, l’inconséquence sont des faiblesses bien plus graves qu’il n’y paraît, puisqu’une fois envolées l’innocence et la vertu originelle, ces défauts auront été responsables d’une carence mortelle. C’est leur somme qui scelle le destin du petit chaperon rouge. Vivant comme dans un doux rêve, repliée dans sa candeur, elle ne se doute pas un seul instant du drame qui se joue et dont elle est l’actrice principale. Refusant de considérer la violence et la prédation, elle n’imagine donc pas qu’elle puisse bénéficier d’une protection, et elle ne pense pas non plus à la possibilité d’une quête par-delà le combat contre la mort et ses sbires.
Cette âme s’est laissée enivrer et mène sa vie dans un état second. Elle meurt sans avoir jamais eu conscience de l’épreuve qu’elle devait passer, de la véritable mission qui lui était confiée.





1. Voir son texte sur Wikipédia
2. Psychanalyse des contes de fées – Bruno Bettelheim paru chez Robert Laffont et chez Pocket
3. J’ai déjà développé ce thème dans mon livre. On peut trouver dans une page de mon site l’extrait correspondant.
4. Voir la page de Wikipédia consacrée au petit chaperon rouge.



Haut de page



Troisième partie : Le roi Lion


Voici un conte moderne, qui se déroule sur la terre ancestrale de l’espèce humaine, l’endroit où a commencé son aventure : la savane africaine. Bien qu’il ait été entièrement écrit pour le cinéma d’animation, il n’en reste pas moins un conte et recèle un symbolisme intéressant.
Certains y trouvent l’influence indéniable d’Hamlet de William Shakespeare1. Sans nier cette influence, je relève quant à moi des divergences par rapport à cette pièce mythique, et une somme de symboles supplémentaires qui en font une œuvre à part.
Dans un premier temps, bien sûr, le roi lion est une histoire d’animaux, où les personnages sont fidèles à l’espèce dans laquelle ils sont incarnés. S’ils peuvent représenter des êtres humains, ce n’est que par la psychologie, l’expression orale et le parallèle social, car dans ce conte les animaux se comportent comme tels, et n’exécutent pas d’actions humaines (comme les petits cochons qui construisent une maison, par exemple). Il s’agit bien là du talent de Walt Disney qui, à l’instar de Jean de la Fontaine, soit humanise les animaux pour ne conserver de la bête qu’un caractère grossier dans les personnages, soit utilise une scène de la vie animale qui, par sa similarité frappante, symbolise à merveille certains comportements humains. Enfin, ce sont plutôt des studios Disney dont je parle en l’occurrence, leur fondateur étant décédé. Petit clin d’œil historique ? Si Walt a été conspué pour ses possibles sympathies pro-nazies (sans doute s’agit-il de méchantes calomnies), ses studios, dans le roi lion, font défiler les hyènes au pas de l’oie devant Scar, le tyran félon, dans une évidente parade hitlérienne.
Le lionceau, Simba, fils du roi lion Mufasa, est destiné à régner un jour, et est éduqué à cette fin par son père dès son plus jeune âge. Mais le frère du roi, Scar, indigne du trône, est rongé par la jalousie et gagné au côté obscur. Il utilise la fourberie, la méchanceté et l’alliance avec les hyènes pour élaborer une perfide stratégie afin d’assassiner son frère et le jeune successeur.
Le thème des frères ennemis, du fratricide, est un thème récurrent qui remonte à la plus haute antiquité. On le retrouve dans les tablettes sumériennes (les plus anciennes traces d’écriture), dans la bible avec Caïn et Abel2 et dans toutes les mythologies, ou dans l’histoire avec Romulus et Remus, et les intrigues et les meurtres jalonnant les successions de rois et d’empereurs tout autour de la terre.
Le lion administre un territoire dans la savane appelé la terre des lions. Toutes les espèces y vivent en harmonie, dans un ordre dont il est le garant. Le père explique à son fils le cycle vertueux de la vie : les carnivores, à leur mort, seront transformés en herbe, que mangent les herbivores. Aucune vie n’est insignifiante, toutes participent à ce cycle gigantesque qui dépasse le monarque qui n’en est lui-même qu’un serviteur, et qui doit s’effacer devant sa tâche, son devoir.
Les principaux acteurs de l’intrigue sont des lions et des hyènes. Tous les autres animaux présents ne jouent que des rôles subalternes.
La symbolique attachée à ces deux grands prédateurs n’est pas forcément fidèle à la réalité, mais s’en rapproche beaucoup. Il est toutefois indubitable que la façon dont ils sont perçus est sur certains points quelque peu discutable. Le problème est le même avec la symbolique moyenâgeuse du renard et du loup, qui est certes proche de la réalité, mais comporte des erreurs quant à la nature et aux caractères de ces deux chasseurs.
Le lion est le symbole de la bravoure, de la noblesse, de la puissance et de la grâce naturelles.
La hyène est par contre perçue comme poltronne, peut-être car elle ne s’attaque pas seule à de plus grands mammifères qu’elle. Bien que la force de ses mâchoires en fasse un animal redoutable, elle ne fait guère le poids devant le corps puissamment musclé d’un lion. Son arrière-train rabaissé, son cri caricatural et sa face grossière font d’elle un animal disgracieux et achèvent de placer la hyène symboliquement à l’opposé du lion.
Pour tous ceux qui ont lu les œuvres de Henri de Monfreid, la hyène est aussi l’animal cruel par excellence, celui qui dévore ses victimes vivantes, et qui ne répugne d’autant moins à les faire souffrir qu’il ne s’est senti frustré ou humilié par ces dernières.
J’ai vu il y a quelques années à la télévision un reportage animalier où une zoologue spécialiste de ces animaux avait suivi une meute pendant des mois. Les rapports des hyènes en société ressemblaient bien à ceux des loups sous plusieurs angles, mais la cruauté de la dominante envers ces rivales – et une en particulier, qui avait pourtant un comportement soumis – m’avait choqué. Elle avait tué ses petits et monté la meute contre elle.
J’avais vu que lors de l’accouchement, le premier petit qui sort a déjà ses dents et que son premier acte consiste à tuer le second. Le troisième, à peine sorti, lui donne un coup de main. Le combat pour la survie impose cette sélection à la fratrie qui se livre ensuite, une fois le nombre de petits réduit, une guerre impitoyable pour l’accès aux mamelles maternelles. Le plus imposant s’accapare le maximum de lait, et une hiérarchie s’établit d’emblée, car le départ est primordial : celui qui est le plus méchant se nourrit plus, grossit plus, et maintient ainsi sa domination sur les autres.
Les hyènes femelles sont plus grandes que les mâles, qu’elles tyrannisent. Leur société est de type matriarcal. La dominante d’une meute fait constamment le tour de ses subordonnées pour exiger des signes de soumission. Cette activité peut sembler obsessionnelle tant elle est répétée.
Comme pour les humains, les hyènes suivantes dans la hiérarchie guettent l’instant de faiblesse, la blessure de la meneuse, la patte tordue ou la maladie. On imagine alors, connaissant la cruauté de leur monde, la curée qui accompagne la passation de pouvoir, la bataille pour la prise de ce pouvoir entre les deux ou trois plus fortes, puis l’angoisse de la vainqueure3 de voir monter des velléités de rébellion et de subir semblable sort, la poussant à son tour à exercer une tyrannie oppressante et sans merci.
En fait, je me souviens qu’en visionnant ce documentaire, j’avais fait un parallèle troublant entre l’être humain et la hyène4. Toutes les histoires tordues des mythologies grecque ou romaine (mais aussi sumérienne, assyrienne, égyptienne etc.) se reflètent parfaitement dans le comportement d’une meute de hyènes. Il en va de même pour les cours des empereurs et rois de l’antiquité jusqu’à nos jours.
Ainsi nous avons dans le roi lion d’une part la symbolique chevaleresque : force, courage, justice, éthique et sens aigu de la responsabilité vis-à-vis de ses sujets. D’autre part, associée au félon, la brute cruelle et égocentrique, mue par ses instincts vils, et rivalisant par la multitude qu’elle représente. Elle est comme une milice, une armée de mercenaires que le frère jaloux va utiliser pour assassiner le roi et son fils.
Attaquer de front le roi lion et le groupe de lionnes est impossible. Scar va donc imaginer une stratégie visant le point faible du lion : son fils. Le lionceau est naïf et faible. De plus, inconscient du danger et impatient de faire ses preuves, il peut prendre des risques inconsidérés. Le plan de Scar est assez génial somme toute : placer Simba comme appât dans un piège mortel, puis appeler Mufasa à la rescousse et observer ce dernier se jeter dans le guêpier. Comme il réussit à mettre son fils à l’abri et tente de s’en sortir, Scar le pousse dans le vide puis, culpabilisant Simba, lui enjoint de s’enfuir et envoie les hyènes le tuer loin des regards. Heureusement, le petit lion parvient à leur échapper et à s’enfuir par-delà le désert. Le traitre n’a plus qu’à apparaître au milieu des lionnes et donner sa version de l’histoire pour prendre le trône qui désormais lui revient, faute de prétendants.
L’armée des hyènes l’accompagne. Il les impose sur la terre des lions, et leur voracité et leur nombre bouleverse le cycle de la vie et finit par avoir raison de l’équilibre écologique.
Simba, quant à lui, ayant grandi dans la forêt au-delà du désert avec deux amis insouciants, retrouve Nala, son amie d’enfance qui s’est aventurée jusque-là pour trouver à manger. Elle lui demande de revenir, ce qu’il refuse tout d’abord. Puis, une apparition du spectre de son père le convainc. Mufasa lui parle et insiste bien sur cette phrase : « Souviens-toi qui tu es ! »
Simba, qui avait tout oublié avant de revoir Nala, prend conscience de sa responsabilité, du sens de sa vie, et retourne sur la terre des lions reprendre sa place.
Après quelques années d’exploitation par les hyènes, la savane est dévastée, transformée en désert rocailleux, desséché : c’est une terre morte à l’arrivée de Simba.
Cet état des lieux, logiquement lié à la voracité des hyènes, à leur cruauté et à leur manque d’intelligence, ressemble bien à celui que font aujourd’hui Nicolas Hulot, Yann Arthus Bertrand et autres en ce qui concerne la tragique évolution de la planète après quelques millénaires de domination humaine.
L’être humain, qui devait selon la bible dominer et assujettir la nature et toutes ses espèces, ne serait-il pas tel Scar et son armée de hyènes, une espèce félonne et vile, dont la voracité n’a d’égale que son immense cruauté ? Il me semble évident que si le conte du roi lion retrace, comme Hamlet, une histoire d’usurpation de trône, elle est aussi une modélisation de la prise de pouvoir de l’espèce humaine, et de l’exploitation qu’elle a fait de la nature.
Bien entendu, ce n’est pas de l’intérieur de la meute que vient la solution : pas de prise de conscience, de remords, de mesures prises pour remédier à la situation. Le mal n’a pas d’intelligence et ne connait que la marche avant. D’ailleurs, cette situation est bien son objectif, donc ses artisans n’ont aucune raison de s’arrêter en si bon chemin…
C’est Simba qui découvre la culpabilité de Scar et confond ce dernier devant les lionnes qui se joignent alors au roi lion pour combattre et expulser les hyènes de la terre des lions. Le félon sera exécuté par ses ex-alliées, la savane revivra bien vite et les troupeaux opulents reviendront la peupler.
Fin heureuse, comme il se doit. À mon avis inapplicable à la terre engagée dans un processus fatal pour la vie. Mais allez savoir… Peut-être une fois les hyènes humaines disparues, une étincelle de vie permettra-t-elle à la nature de se régénérer.
Mais l’interprétation de ce conte serait à mon avis incomplète si l’on n’y incluait pas une autre dimension, à laquelle les lecteurs et lectrices de ce blog doivent être maintenant coutumiers : la dimension métaphysique, spirituelle. En effet, l’appel du père défunt : « Souviens-toi qui tu es ! » me fait penser de nouveau aux paroles de Jésus Christ. Il a dit5 :

« Quand vous vous connaitrez, alors vous serez connu du Père-le-Vivant
Et vous saurez que vous êtes ses fils ;
Mais s’il vous arrive de ne pas vous connaître, alors vous êtes dans la pauvreté
Et c’est vous la pauvreté. »

Car à l’instar de Simba adolescent, nous avons tous oublié qui nous sommes. Bon, la question semble ne pas se poser pour les agnostiques et athées pour qui l’esprit est une aberration, en tout cas une conséquence de phénomènes physico-chimiques qui ont lieu dans la chair des êtres vivants. Mais pour tous les autres, ceux qui pensent que leur vie a un sens, alors il faut bien se rendre à l’évidence : nous sommes plongés dans une profonde amnésie en ce qui concerne le sens de la vie, et tout ce qui est antérieur à notre naissance.
L’injonction du père de Simba de se souvenir pourrait fort bien être celle de celui que Jésus appelle le Père, et qui nous commanderait de rechercher cette information essentielle : qui sommes-nous, d’où venons-nous, pourquoi sommes-nous venus ici ? Les hommes vrais, peuplade aborigène d’Australie, ont des réponses très pertinentes à ces questions6. Pour nous, hommes et femmes civilisés, rien de tout cela ne nous a été correctement révélé. Nous devrions donc faire notre propre enquête, et chercher nos réponses nous-mêmes. À condition, évidemment, d’en ressentir le besoin…
Finalement, en poursuivant l’analyse dans ce sens, on peut voir dans le roi lion une allégorie spirituelle, un genre de parabole, où toute l’histoire se déroule en nous, dans notre esprit en proie aux mauvais penchants suggérés par le monde dans lequel nous vivons. Un combat y a peut-être lieu, entre l’être noble qui devrait gouverner et la myriade de pensées mesquines, jalouses, cruelles qui bien souvent nous poussent à agir.
La fin heureuse de l’histoire prend alors tout son sens, et nous encourage à mener ce combat sans répit jusqu’à son terme. Pour illustrer cela, voici d’autres paroles de Jésus Christ :

« Les disciples lui dirent :
Dis-nous : comment sera notre fin ?
Jésus dit :
Avez-vous donc dévoilé le commencement,
Pour que vous vous préoccupiez de la fin ?
Car là où est le commencement, là sera la fin.
Heureux celui qui se tiendra dans le commencement,
Et il connaîtra la fin, et il ne goûtera pas de la mort.7 »

« Celui qui cherche
ne doit pas cesser de chercher
Jusqu’à ce qu’il trouve,
Et quand il trouvera il sera stupéfié
Et, étant stupéfié, il sera émerveillé,
Et il règnera sur le Tout.8 »

Et, autrement dit par Lao Tseu:

« Plein du seul vide
Ancré ferme dans le silence
La multiplicité des êtres surgit
Tandis que je contemple leurs mutations.

La multiplicité des êtres
Fait retour à sa racine.
Revenir à sa racine
C'est atteindre le silence.
Le silence permet de trouver son destin.
Retrouver son destin renoue avec le ferme.
Renouer avec le ferme amène l'éveil.
Ne pas connaître l'éveil
Conduit à la confusion.

Connaître l'éveil
Ouvre à l'impartial.
L'impartial s'ouvre au royal.
Le royal s'ouvre sur l'éternel.
L'éternel coïncide avec le tao.
Qui fait un avec la voie du tao
Rien ne peut l'atteindre
Même la mort.9 »


De quoi méditer, en attendant mieux…





1. Voir la page consacrée au roi lion sur Wikipédia.
2. Histoire très symbolique qui permet, en la recoupant avec d’autres éléments, de dénouer le mystère de l’origine humaine. Ce thème sera développé dans 2020-2030 chroniques de la survie ordinaire – tome 2.
3. Vainqueur est un nom ou un adjectif employés exclusivement au masculin. Je m’y refuse et crée la forme féminine.
4. Ce thème sera également développé dans le tome 2 des chroniques de la survie ordinaire.
5. Évangile selon Thomas – § 3 ligne 9.
6. Voir le livre de Marlo Morgan : Le message des hommes vrais (au monde mutant) – Albin Michel ; ce livre est controversé, mais j’en conseille tout de même la lecture. Chacun pourra se faire son avis, surtout en recoupant les informations avec d’autres ouvrages sur des tèmes similaires.
7. Évangile selon Thomas – § 18.
8. Évangile selon Thomas – § 2.
9. Tao te King - § 16

Haut de page

2 commentaires:

  1. Wouaou !!! c'est vrai que ces contes sont remplis de messages, à prendre ou à laisser. Trés , trop moraliste à mon goût.
    Bravo pour ton analyse, un régal d'écriture et qui laisse comme d'hab bien perplexe.A méditer!
    Bises

    RépondreSupprimer
  2. C'est marrant, aujourd'hui , à l'école, nous avons abordé les contes....nous allons travailler sur "le petit chaperon rouge". Merci pour ton commentaire et gros bisous

    RépondreSupprimer