mardi 23 juin 2009

De l'affaire de Tarnac

Appelée aussi "l'affaire Coupat" du nom du principal accusé, désigné comme le chef d'un réseau terroriste anarcho-autonome (comme le disait Coluche: "rien que le nom m'amuse!") et resté six mois derrière les barreaux, relâché le 28 mai 2009.
Je ne reprendrai pas ici les détails de l'enchaînement des faits, ceux-ci étant largement relayés sur internet1, je me contenterai donc d'un bref résumé:
Le 11 novembre 2008, un jour après le sabotage de caténaires d'une ligne TGV, la police interpelle 9 personnes dont Julien Coupat et sa compagne.
Intervention prompte de la ministre de l'intérieur qui se félicite de la vélocité de l'enquête ayant abouti à la mise en examen d'un groupuscule de violents activistes anarcho-autonomes.
La presse, et notamment les journaux télévisés, procède immédiatement au lynchage médiatique de ces jeunes gens sensés être protégés, tant qu'aucune preuve n'aura été trouvée, par la présomption d'innocence.
Pourtant, de l'enquête policière aux déclarations des magistrats, des enquêteurs des RG au ficelage des reportages et articles traitant du sujet, toute l'instruction, toutes communications sont faites à charge2.
Sur les 9 personnes interpelées, 4 sont relâchées le jour même, puis 4 autres seront remises en libertés sous contrôle judiciaire dans les semaines suivantes. Julien Coupat restera placé en détention préventive 6 mois, avant d'être également remis en liberté sous contrôle judiciaire, avec l'interdiction formelle d'entrer en contact avec ses amis ou sa compagne.
L'instruction, n'ayant toujours aucune preuve ni aucun aveu à mettre à la charge des accusés, est sensée "suivre son cours"...
Cette affaire a soulevé une vague de protestation qui me paraît fort légitime. En effet, le fiasco politique (interventions entêtées de Michelle Alliot-Marie), médiatique (reportages et annonces de présentateurs de JT présentant les suspects comme coupables depuis le début et brodant sur le thème "action directe") et judiciaire (acharnement stérile et reposant sur des justifications inconsistantes), ce qui a été dénoncé comme un fiasco donc n'est pas sans rappeler d'autres affaires où l'emballement de toutes ces instances n'avaient finalement produit que la destruction de personnes innocentes.
Les médias ne font pas volontiers leur Mea Culpa. Et voici qu'ils nous prouvent, une fois de plus, qu'ils ne retiennent pas non plus les leçons du passé. Mais après tout, retenir les leçons du passé serait une preuve de volonté déontologique. En matière de déontologie des journalistes, entre ce qui est affiché et ce qui est révélé par les faits, il y a un gouffre.
Il en va de même pour les sphères politiques et judiciaires, empêtrées dans cette affaire qui n'aura pas produit les résultats escomptés - enfin, peut-être pas: je ne suis pas dans le secret des dieux, après tout...
En tout cas, cette affaire, à mon sens, aura mis en évidence le danger des lois anti-terroristes votées en France comme aux États-Unis après le 11 septembre 2001 et créant de fait, pour tout acte qualifié de terroriste, une bulle judiciaire de non-droit. Partant, Guantanamo n'est certes que le paroxysme de ce que l'on peut vivre en France ou dans tous les pays dotés d'un tel arsenal juridique (donc, sans doute, tous les pays...) dès lors que l'on est accusé d'acte ou de tentative d'acte terroriste.
Vincent Coupat, mis en examen et incarcéré au motif de "direction d'une association de malfaiteurs et dégradations en relation avec une entreprise terroriste", s'est retrouvé, à cause de ces deux derniers mots, dans un statut proche des prisonniers de Guantanamo.
Ainsi, malgré la longueur de la garde à vue de ces 4 camarades, aucun d'eux n'a fait d'aveu. Et on peut imaginer la pression qu'ils ont dû subir - séparation d'emblée, interrogatoires croisés, musclés, bluff etc.
Malgré les perquisitions et les moyens mis en œuvre - y compris médico-légal - aucune preuve n'a pu étayer les soupçons de la police.
Et malgré, pour finir, la revendication d'actions de sabotages intervenues sur les réseaux français et allemands par un groupe allemand manifestant ainsi son opposition aux transports ferroviaires de matières radioactives de la France vers l'Allemagne, et ce dès le 9 novembre, malgré tout cela, Vincent Coupat est resté incarcéré 6 mois et n'est même pas ressorti blanchi.
Un de ses 3 amis libérés le 2 décembre 2008 déclare sur Fance 2: "Les trois quarts de l'enquête ont porté sur d'autres raisons que celles-ci", faisant allusion à l'attentat.
Tout compte fait, après avoir lu une abondante documentation sur cette affaire, j'en viens à la conclusion que faire porter le chapeau à ces jeunes et les qualifier de terroristes a surtout servi à les punir pour leurs idées altermondialistes, et pour leur participation à des manifestations contre le contrôle des Multinationales, du FMI, de l'OMC...
Les RG espéraient certainement profiter de leur subterfuge pour dénicher quelque chose de probant lors de la perquisition ou des interrogatoires, puisque leur coûteuse filature n'avait jusqu'alors rien donné, à part une prose paranoïaque qui n'avait trompée que leur ministre -enfin, peut-être...
Bref: garde bien tes idées humanistes pour toi, ainsi que ta défiance du système qui prétend te donner la liberté (d'expression, de manifester etc.) car l'œil de Big Brother est sur toi.
Encore un chapitre de 1984 qui vient d'être écrit devant nous.



1. Voir à cet effet la page consacrée à cette affaire sur Wikipedia ou celle, remontant les faits jusqu'au 15 décembre 2008 mais néanmoins très complète, parue sur le tigre.net
2. À propos du manque évident d'objectivité des médias, voir entre autres l'article de Jamel Lakhal paru sur Acrimed.

Mise à jour: voir "la note intégrale de la défense remise au juge", disponible en pdf à partir de cet article paru sur davduf.net.


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