lundi 29 juin 2009

Résister au protectionnisme

«On ne peut ajourner la libéralisation du commerce», après l'échec de ces négociations, a affirmé le président Lula. En ces temps de crise, il est «essentiel de résister au protectionnisme », a renchéri José manuel Barroso. «Rien ne serait pire que le protectionnisme», a répondu en écho le président français.1


Nos amis du club "copain des riches", réunis pour un sommet UE-Brésil où se complotent quelques échanges de bons procédés, nous rassurent: le cynisme et l'inhumanité ont encore de beaux jours devant eux à l'OMC et au FMI2.
Après tout, on doit à la politique de ces superbes organisations, supposées démocratiques, la dette abyssale des pays pauvres, la famine, les guerres et tout le mal qui peut découler de la misère sans issue.
Quelques années de lecture du Monde Diplomatique, de Courrier International, et la lecture de plusieurs livres m'ont appris la marge qui existe entre les déclarations d'intentions et les conséquences bien réelles de ces politiques3.
Tout commence avec le rapport de force en faveur des pays du Nord. Les élites de ces pays ont installé à la tête des pays inféodés des chefs d'état corrompus et entièrement dévoués à leurs protecteurs. Ce fut la Françafrique4, mais aussi la mainmise des USA sur l'Amérique Latine, celle de Moscou sur le Bloc de l'Est, celle de Londres sur le Commonwealth et maintenant celle, grandissante, de la Chine. Ces élites donc, avec leurs acolytes, se sont livrées impunément durant des décennies à un double cambriolage.
Dans un sens, ils ont fait main basse sur les richesses (métaux, pierres précieuses, bois, pétrole etc.) de ces pays.
Dans l'autre sens, ils ont pillé l'argent public des pays riches, sous couvert d'aides au développement ou de juteux marchés. Et dans ce sens-là, ils ont également creusé la dette du Tiers-Monde.
On a pu voir ainsi notre bon président Mitterrand entamer ses deux mandats par une tournée africaine de distribution d'aides au développement. Au moins, il ne s'est pas embarrassé de fioritures et de faux-semblants... Quand on considère la fortune éhontée des présidents africains amis de la France, on ne peux qu'imaginer la part qui revenait à nos chefs d'états. Difficile de croire à la réelle disparition des paradis fiscaux! En tous cas, pour ce qui est des dettes des états, pauvres ou riches, on sait où est passée une bonne partie de l'argent.
Certes, les aides ne sont pas entièrement consacrées à l'enrichissement des hommes d'états. Une partie est dédiée à la passation de marchés avec de grands groupes français, marchands d'armes, BTP et industriels. Bien entendu, tous dirigés par l'élite qui a pu ainsi accroître ses profits sur le dos du peuple, d'où l'écart toujours accentué entre cette caste et le reste de la population. Le livre de Pierre Péan, "l'argent noir"5, révèle les tenants et les aboutissants d'une escroquerie à l'argent public français perpétrée par les gouvernements successifs (principalement: présidence, ministère des finances et quelques commissions obscures) pour le compte de ceux que le président Sarkozy affiche comme ses amis, et qui sont cette poignée de familles qui possèdent la France et pour laquelle tout le monde travaille.
L'argent de l'aide au développement a d'abord servi à financer des commandes d'armement et de gigantesques éléphants blancs, ces projets aussi pharaoniques qu'inutiles (par exemple ces impressionnants abattoirs construits au milieu du désert à Foucha, au Tchad, et dont "le tunnel de congélation [...] n'a jamais été utilisé, aucun marché local de viande congelée n'existant et n'ayant été suscité5"). À cet argent est venu s'ajouter, au début des années 80, les excédents en pétrodollars que les pays producteurs, Arabie Saoudite en tête, avait placés dans l'industrie occidentale, et que les banquiers utilisèrent pour faire des prêts à taux élevés aux pays en voie de développement6.
Pour un grand patron, le gain opéré grâce à ces marchés avec les pays pauvres est double: dans un premier temps, il fait fonctionner son entreprise, travailler ses employés, augmente le chiffre d'affaire et donc se voit octroyer des récompenses (salaire, primes, parachute doré etc.). Dans un second temps, la passation de ces marchés donne lieu immanquablement à de fortes commissions (d'autant plus fortes qu'elles incluent la rétro-commission...) proportionnelles aux montants engagés, ce qui explique la démesure des projets.
Tant que le pays engagé est dans le haut de la vague, tout va pour le mieux. Mais très vite, l'argent des aides et des crédits partis, il faut trouver une combine pour nos chers truands en cols blancs. C'est là qu'intervient le ministère des finances, et la Coface, assureur des marchés, qui coopte puis rembourse - prix de vente + commissions - les ventes douteuses aux paiements (sans surprise) non honorés.
"Par exemple, le Pérou a acheté à Dassault 26 Mirage (ramenés ultérieurement à 12) ... alors qu'il négociait avec le FMI le troisième rééchelonnement de sa dette7".
Conclusion tirée par Pierre Péan:

"Les sinistres augmentent chaque année d'une manière inquiétante: la Coface a payé aux industriels et banquiers français une ardoise de 24 milliards en 1987 (19,3 en 1986, 14,6 en 1985). Nous approchons à grands pas de l'absurdité: de plus en plus de contrats signés, ces dernières années, avec l'étranger sont en réalité financés par le contribuable français! Des contrats qui ont assuré la prospérité (ou évité la faillite) de quelques groupes, garnis des comptes en Suisse au profit de quelques dirigeants du Tiers Monde, et freiné le développement de ces pays, voire accru dramatiquement leur pauvreté."8
"Les conséquences de l'engagement de l'état n'ont jamais été expliquées aux contribuables. Les représentants du peuple, et à plus forte raison les citoyens français, ne savent pas qu'une partie non négligeable de leurs impôts a abouti de la sorte dans les caisses des "grands" des travaux publics. Ils ne connaissent pas non plus, il est vrai, les liens ambigus tissés au fil du temps entre certains de leurs hommes politiques et tels ou tels grands patrons de ces entreprises..."9

La mafia constituée par la collusion entre les élites fortunées et les hommes d'état a donc réussi, en s'enrichissant de la sorte, à créer de la dette au Nord comme au Sud, précipitant le monde dans la crise et, comme je le prévois, à moyen terme, dans le chaos et la guerre10.
Bien entendu, la dette, la crise dans les pays pauvres sont amplifiées et bien plus précoces que dans les pays riches. Les gouvernements de ces pays se sont ainsi trouvés obligés de se tourner vers le FMI, seule la banque mondiale étant en mesure de les renflouer (ce n'était pas Omar Bongo, Mobutu ou Félix Houphouët-Boigny qui allaient rembourser...).
Or, si le FMI injecte de l'argent dans un état, il le fait sous condition. Usant d'un droit de regard sur l'administration, les finances du pays etc., il ordonne des changements sensés améliorer la gestion de l'économie, éviter les écueils. Mais le rôle du FMI va plus loin, et s'il s'est attiré les foudres des ONG altermondialistes, c'est qu'il est devenu le partenaire, le complice de l'OMC, conditionnant ses prêts aux règles de marché imposées par les mêmes élites du Nord qui ont initié le processus d'endettement des pays du Tiers Monde.
Dans le secteur de l'agriculture, je laisse la parole à Jean Ziegler pour résumer le résultat de cette politique:

"L'absurdité de la situation des marchés agraires est la suivante: les pays riches, donc l'Union Européenne, les USA etc. pour produire et exporter subventionnent leur agriculture. L'année dernière (2004) 349 milliards de dollars on été versés, soit près d'un milliard par jour.
La conséquence de cela, c'est le dumping et la destruction de l'économie agraire dans l'hémisphère sud, où il n'y a presque que des paysans.
Laissez-moi vous donner un exemple:
La capitale du Sénégal, Dakar, abrite le marché Sandagar, le plus grand marché agraire d'Afrique de l'Ouest. Sur le marché Sandagar, vous pouvez acheter des légumes européens, des fruits européens, des patates européennes etc. au tiers du prix local. Alors, le paysan sénégalais, même en travaillant 18 heures par jour sous un soleil brûlant, n'a plus aucune chance de pouvoir gagner sa vie grâce à sa terre. Que doit-il faire? S'il en a encore le force, il émigre illégalement et au péril de sa vie par le détroit de Gibraltar et se fait exploiter dans le sud de l'Espagne ou comme balayeur à Paris en acceptant des conditions de vie inhumaines."11

En constatant tout ceci, on ne peux que comprendre la position de nos amis "copains des riches": le plan jusqu'ici marche comme sur des roulettes. On ne va tout de même pas inverser le processus si près du but...


1. Citation d'un article paru sur le site 20minutes.fr
2. "Organisation Mondiale du Commerce" et "Fond Monétaire International".
3. Voir l'article de Serge Halimi sur Le Monde Diplomatique (archives-mai 2008)
4. De François-Xavier Verschave -La Françafrique : Le plus long scandale de la République - Stock
Voir la page qui lui est dédiée sur Wikipédia.
5. Voir le livre de Pierre Péan "L'argent noir - corruption et sous-développement" Fayard
6. Voir l'article publié par Evelyne LEVEQUE pour "les Amis du Monde diplomatique"
7. "L'argent noir - corruption et sous-développement", précédemment cité, p.89
8. idem p.91
9. idem p.85
10. Voir mon livre "2020-2030 Chroniques de la survie ordinaire"
11.Jean Ziegler, Rapporteur spécial auprès des Nations Unies sur le droit à l'alimentation -intervention dans le film documentaire "we feed the world".


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