lundi 13 juillet 2009

Terrorisme, guerre et raison d'état

« J'ai vu des collègues brûler vif un enfant de quinze ans. J'ai vu des soldats se déguiser en terroristes et massacrer des civils. J'ai vu des colonels assassiner, de sang-froid, de simples suspects. J'ai vu des officiers torturer, à mort, des islamistes. J'ai vu trop de choses. Autant d'atteintes à la dignité humaine que je ne saurais taire. Ce sont là, des raisons suffisantes, j'en suis convaincu, pour briser le mur du silence." Ancien parachutiste dans les forces spéciales de l'armée algérienne, Habib Souaïdia apporte […] le premier témoignage, à visage découvert, d'un officier ayant vécu au jour le jour la «sale guerre» qui déchire son pays depuis 1992. Il raconte ce qu'il a vu : la torture, les exécutions sommaires, les manipulations, les assassinats de civils. Et surtout, il lève le voile sur l'un des tabous les mieux gardés du drame algérien : le fonctionnement interne de l'armée algérienne. Il donne à voir le cynisme calculateur et la folie sanguinaire de certains généraux, le bourrage de crâne de leurs troupes, mais aussi le désespoir des soldats contraints à des actes barbares, les ravages de la drogue et des purges internes...1 »


J’ai acheté le livre d’Habib Souaïdia à sa parution, en 2000. Cela faisait alors déjà quelques années que la guerre contre le GIA était à la une. Pratiquement chaque jour, on apprenait au journal télévisé un nouveau massacre attribué aux islamistes.
Personnellement, j’ai toujours trouvé bizarre la version des faits dont on nous abreuvait. En effet, pourquoi les islamistes s’en prenaient-ils à des petites gens des campagnes, égorgeant et brûlant hommes, femmes et enfants d’une population de gens pieux et qui, quelques temps avant, avaient majoritairement voté pour le FIS2, parti politique dont ils représentaient la branche armée, alors que c’était à la dictature militaire qu’ils s’opposaient ?
Ce livre m’a révélé toute l’horreur qui se cachait derrière cette affaire, car quel est le comble de l’horreur ? Des extrémistes barbares qui commettent les pires atrocités pour… on ne sait pas trop. Ou un gouvernement vacillant qui commandite ces atrocités pour les imputer à ses adversaires politiques et conserver un pouvoir gagné, quelques décennies plus tôt, par le même moyen (attentats, actes barbares etc.), pouvoir conservé à l’aide d’un simulacre grossier de démocratie, et légitimé dans les faits par des médias complaisants – ce qui, en Algérie, peut sembler logique, mais qui surprend de ce côté-ci de la Méditerranée.
Un fait récent a dirigé ponctuellement le projecteur sur cette époque (est-elle vraiment révolue ?). Le 7 juillet, j’entendais à la radio un court reportage :

« Les moines français de Tibéhirine tués en 1996 auraient été victimes d’une "bavure" de l’armée algérienne, selon un général français entendu le mois dernier par la justice. Il met également l’armée algérienne en cause dans la mort de l’évêque d’Oran, Mgr Pierre Claverie.3»


Les têtes de sept moines trappistes, prétendument enlevés par le GIA, étaient retrouvées 2 mois plus tard, le 21 mai 1996, dans un champ près de Médéa, et l’évêque d’Oran qui pensait à l’implication du gouvernement algérien décéda dans l’explosion d’une voiture piégée le 1er août 1996.
D’après le général Buchwalter, officier en retraite de l’armée de terre, affecté à la DGSE, en poste alors à Alger, il s’agirait d’un mitraillage accidentel effectué depuis un hélicoptère, et maquillé ensuite en barbarie d’extrémistes.

« Il dit avoir recueilli les confidences d’un ancien officier algérien et, poursuivent Le Figaro et Mediapart, explique avoir rendu compte par écrit du mitraillage des moines au ministère de la Défense, à l’état-major des armées et à l’ambassadeur de France alors en poste à Alger, Michel Levêque. "Il n’y a pas eu de suites, ils ont observé le black-out demandé par l’ambassadeur", assure-t-il.3 »

Le témoignage, produit devant un juge d’instruction, ne provient certes pas d’un illuminé, mais certains dénoncent une calomnie politicienne. Et ce d’autant plus que le général protège sa source dans un souci de sécurité4. Cependant, ce n’est pas le premier témoignage rendant compte de la bavure militaire algérienne. On peut lire à ce propos l’excellent article paru sur le site Rue89 le 12/07/2008 et actualisé le 06/07/2009. On y trouvera une parfaite historique de l’événement. On y lit notamment que « le 18 avril, le communiqué n°43, signé « Abou Abderrahmane Amine » (pseudo de Djamel Zitouni, ancien vendeur de poulets devenu chef du Groupe islamique armé (GIA), revendique l'enlèvement. »
Or Djamel Zitouni est, d’après un reportage accablant de la chaine Canal +5, un pion placé à la tête du GIA par la DRS algérienne (Direction du Renseignement et de la Sécurité), après une vague d’assassinats des chefs du groupe armé. C’est avec son avènement que commencent les atrocités perpétrées sur des civils. De quoi appuyer les dires de Habib Souaïdia qui affirmait dans son livre avoir reçu l’ordre impératif de ne pas bouger, alors que dans des maisons situés à quelques centaines de mètres des militaires se déroulait un carnage dont ils entendaient les cris. Il décrit même le cas de massacres où des hélicoptères (fournis gratuitement, je crois me souvenir, par la France), équipés de matériel Hi Tech de vision nocturne, effectuaient des tours au-dessus du lieu du drame. Un détail troublant que l’on retrouve dans d’autres reportages comme « Bentallah : Autopsie d’un massacre »6, ou dans l'article "Du GSPC à Al-Qaeda au Maghreb" au chapitre "Juin 2005 : l’attaque par le GSPC de la caserne mauritanienne de Lemgheity"7.
L’analyse de ces reportages, livres, articles prouve, sources à l’appui, l’utilisation de mouvements extrémistes sous contrôle afin de légitimer le maintien au pouvoir de gouvernements corrompus et vassaux de services secrets aux mains de militaires peu scrupuleux (en Algérie tout d’abord, mais aussi, comme le démontre l’article précédemment cité, en Mauritanie et sans doute ailleurs : l’idée est tellement bonne…). Outre les tueries aveugles menées par ces groupes salafistes et épaulés par certaines sections au sein des forces spéciales, on doit aussi à ses régimes l’utilisation de la torture, de la justice expéditive, des condamnations arbitraires, des arrestation d’opposants etc.8
Si l’on ajoute à ce tableau la complicité entre les différents services secrets rencontrés au fil de l’enquête, et la collusion entre hommes politiques d’influence français et les généraux algériens9, on ne peux que penser à Pinochet et autres dictateurs sud-américains, et à la politique de la CIA qui les a mis en place, conseillés et soutenus lorsqu’ils gardaient le pouvoir par la terreur.
La seule différence, c’est la transformation, aux yeux de l’opinion, du danger incommensurable qui la menace : hier, c’était les rouges, le bloc de l’Est, la racaille communiste. Aujourd’hui, c’est l’islamisme, le terrorisme, les infectes barbares…
On en revient encore à ce cher George Orwell et à 198410 ! N’y avait-il pas décrit avec brio la façon de maintenir le peuple sous contrôle en inventant un ennemi, une guerre perpétuels ? Voici un concept qui doit nécessairement être enseigné dans les cercles des haut-placés…




1. Extrait de la quatrième de couverture du livre « La sale guerre -Le témoignage d'un ancien officier des forces spéciales de l'armée algérienne, 1992-2000 » - Habib Souaïdia La découverte – Visible sur le site des éditions La découverte.
2. Front Islamique de Salut
3. Article et reportages sur le site de France-Info
4. On peut toutefois s’interroger sur la réelle protection et l’anonymat de la source : il dit avoir eu l’info du frère d’un des pilotes d’hélicoptères impliqués dans l’action (il y en avait deux…)
5. Reportage de l’émission 90 mn, visible en 3 parties sur Dailymotion : À qui profite le terrorisme ? 1, 2& 3
6. Visible en 5 parties sur Dailymotion : 1, 2, 3, 4 & 5.
7. "Du GSPC à Al-Qaeda au Maghreb", publié sur le site Mecanopolis, excellent dans son ensemble, cet article met en lumière la manipulation de l'opinion en vue d'associer le GIA transmuté en GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat), et Al Qaeda par les services secret algérien, français et américains, et le relais de cette intox par les médias internationaux.
8. Voir à ce propos l’article paru sur afrik.com faisant état du rapport d’Amnesty International sur « La pratique de la torture par la Sécurité militaire en Algérie » ou encore les articles parus sur algeria-watch sur l’histoire du régime algérien et plus précisément du coup d’état de 1992 , ou encore leur retranscription du rapport d’Amnesty sur le procès d’Habib Souaïdia.
9. Collusion dénoncée ça et là dans les diverses sources précitées, mais on trouvera une enquête développée quant à la manipulation franco-algérienne pour extrader les opposants algériens du FIS en exil ( affaire Thévenot .) visible encore sur Dailymotion. Voir aussi à ce propos « Le « vrai-faux » enlèvement des époux Thévenot - Script du documentaire de Jean-Baptiste Rivoire, diffusé sur Canal + le 1 décembre 2003 », retranscrit par Algeria-watch. À propos de l'affaire des moines de Tibéhirine, voir encore l'article sans appel "les moines en Algérie tués par les militaires" paru de même sur le site Algéria-Watch.
10. George Orwell – 1984 - Folio




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